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...Il était une fille...

Il est bien difficile de se décrire soi-même ou de se définir, mais en observant l'ensemble de nos aspirations, de nos passions de nos partages, nous pouvons peut-être essayer de nous (re)- connaître.

LE PETIT PORTE-MONNAIE (Partie 3)

L’Opéra était la fierté de la Capitale. C’était comme le temple d’une civilisation perdue.
Jo pensa entrer dans un palais. Quand nos yeux n’ont jamais vu, ils sont assez arbitraires. Ils peuvent encenser comme ils peuvent détester.
Jo se sentait happée par la perspective. Arrivée au plus haut des marches de l’entrée, elle se baissa et caressa la pierre. C’est pour se souvenir. Elle n’avait pas parlé à Ilana, juste accepté.
Certaines douleurs ne se décrivent pas, Jo l’avait compris.

 

Le monde impitoyable du spectacle avait déployé tous ses atours afin d’attirer dans ses filets les petites ballerines innocentes. Jo marchait, mais, contrairement à ses habitudes, ses pieds ne luttaient pas contre le bois du parquet. Tout était calme, tout était amorti, c’était comme lorsqu’on marche sur la neige.

C’était la première fois qu'elle avançait sur du velours. Une petite loge leur était réservée, décorée par deux bouquets de marguerites, belles...mais tellement peu plaisantes à sentir.

Malgré ses lèvres fermement serrées, Mademoiselle Pimel sentait le sang qui affluait à ses joues. Elle n’avait fait que subir le destin jusqu'à ce jour, ou plutôt attendre qu’il daigne se manifester. Mais aujourd’hui, elle se surprenait à échafauder quelques plans, à se voir pavanant au bras d’Edgard. En entendant les petites voix, elle se rappella sa mission, accompagner deux jeunes danseuses sur le chemin de leur destin. Une audition comme celle-là c’est la main tendue de la vie, celle-là même que Bernadette n’a pu saisir.

Jo se prépara, elle assouplit son corps, il ne devait faire qu’un avec le vent.
Point d’écart, point de faux-pas, la danse est une quête de la perfection. Et ce que le spectateur perçoit comme
une démarche ondulante et naturelle, représente des années de travail
Point de 1, 2 ..et pointez, point de chute , elle doit glisser comme le cygne sur l’eau .

Ilana, paraîssait tendue. Il n’y avait pas d’autre issue que la réussite. Quoi qu’il en coûtât ...

Les lumières de la Salle du Soleil (la plus grande salle de l’opéra) s’allumèrent.

 Ilana ne voulait plus de cette vie.

Mademoiselle Pimel ne la regarda pas. Mademoiselle Pimel ne se rendit compte de rien. Bernadette avait déjà failli à sa mission. Dans l’insolence de cette Ville-vacarme, elle n’entendait plus le grondement des lois, le grondement de la morale qui l’avait serrée si fort depuis des années.
Enivrée par les volutes de cette cité où tout était possible, elle laissait glisser son fil dans les doigts des Parques.
Elle  regarda vers Edgard.
« Les petites peuvent bien s’échauffer seules.

- Oh oui bien sûr, un peu d’autonomie ne fait de mal à personne.

Quoi qu’il en coûtât, Ilana sortit son porte monnaie en perles roses, et l'observa un moment.

Le petit rat de l’opéra se faufila dans le dédale des coulisses, elle courut, elle voulait le cacher le plus loin possible. Elle avait peur.

Bernadette n’avait jamais imaginé qu’elle succomberait à Edgard dans un recoin de coulisse.
Elle s’était imaginée beaucoup de scénarios, mais rien d’aussi pressant.

Une odeur de vieux bois moisi vint lui piquer le nez, cela ne sembla pas déranger Edgard, qui déjà humait sa poitrine. Il se pressa contre elle, presque à l’étouffer.

Quand soudain, comme deux perles suspendues dans le vide, Bernadette distinga un regard.
Quelqu’un les observait. Quelqu’un savait maintenant.
Il n’était pas besoin de sortir des mots, de se justifier. Elle tenait maintenant la réputation de Madame Pimel entre ses lèvres.
Leurs yeux conclurent un accord.

La salle du Soleil est noire, le rideau s’ouvre, on entend juste le toussotement des membres du jury.

Jo s’élança, petit feu follet blanc, elle dansa avec le vent. Point de sol, elle flottait. Monsieur Arabesque penchée, Monsieur Attitude, Madame Saut de chat et Mademoiselle Sissone, Madame Grand jeté, et Messieurs Balancé et Déboulé, ils sont tous là, pour ce rendez-vous.

Pour Jo qui dansait .

Dans une magnifique glissade cambrée, elle s’inclina devant ces adultes ébahies par la magie de ce petit corps, écho de leur jeunesse envolée...L’image de Jo brillait encore sur leurs pupilles.

Quel talent cette petite ! Un applaudissement en entraîna un puis un autre, puis d’autres. Le Jury n’avait déjà plus le cœur à regarder les autres candidates.

Willy Rizzo Willy Rizzo Leslie Caron Opéra de Paris, 1950

Willy Rizzo Willy Rizzo Leslie Caron Opéra de Paris, 1950

Il paraît qu’ils nous envoient les résultats des délibérations par courrier, tu savais ?
Ilana, les yeux vides, se tourna vers la voix qu’elle perçut de loin.

Elle aussi avait vu Jo danser.

Mademoiselle Pimel était devenue très froide avec Jo. Et lorsque la maman de Jo vint la chercher à la gare, elle resta longuement à parler avec elle. Jo regarda sa mère, elle semblait prendre sa tête dans ses mains.Que se passait-il ? La maman de Jo s’approcha prestement. Une douleur percuta la joue de Jo .

« Il n’y pas de voleuse dans notre famille tu m’entends, tu ne danseras plus... tu te rends compte un porte monnaie en perles...où l’as tu caché ? tu te rends compte ...la réputation de notre famille ».

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